L’extrait suivant est écrit aujourd’hui, il ne date pas de ma période à l’hôpital. En lisant mon journal, je me doute bien que ma situation a changé, qu’elle a même évolué. La douleur de tous les jours, par contre, préfère rester avec moi. Elle doit se sentir bien, je dois être une personne de bonne compagnie.
Extrait de mon journal intime. Date 05.02.2020
Encore une nuit passée dans la souffrance donnée par ce talon du pied droit. Pas de solution pour que la douleur disparaisse ou diminue. Allongé, j’ai l’impression d’avoir le talon dans un étau. Debout, j’ai l’impression d’avoir l’arrière du talon en miettes. Je crois avoir trouvé le point commun qui justifie toutes ces douleurs de nuit. Hier, j’ai accueilli un ami à la maison et je suis resté assis pendant quelques heures, avec les pieds sous la chaise. J’arrive tellement à passer au dessus de la douleur dans ces situations en bougeant mon pied quasiment de façon automatique maintenant que j’en oublie parfois les conséquences. J’ai beau les oublier, elles, elles ne m’oublient pas… Serais-je un descendant d’Achille ? Mes parents m’auraient-ils plongé dans le Styx ? Oh la vache, je me mets à écrire comme mon père ! 😆
Pour l’extrait suivant, revenons quelques mois en arrière. Suivant les conseils de mon médecin et de mes infirmières, je suis allé consulter le psychiatre de l’hôpital Léon Bérard. Je peux vous certifier que ça a un côté effrayant…
Extrait de mon journal intime. Date 12.09.2017
Je sors de chez le psychiatre de l’hôpital. C’est compliqué de s’ouvrir totalement à une personne que l’on ne connaît pas alors que l’on est incapable de parler de ce qu’on ressent avec des personnes que l’on connaît.
Choc post traumatique suite à la douleur de l’accident, le nombre de passages au bloc, l’immobilisation, la durée d’hospitalisation, sentiment d’inutilité face au handicap… J’ai l’impression d’avoir fait le Vietnam.
C’est dur d’entendre ça, « choc post traumatique », et dur d’imaginer que l’on peut être placé sous anti dépresseurs. Tout cela combiné à la dure réalité qu’il vous explose au visage et qu’on ne veut pas entendre : « Vous habitez loin, c’est compliqué pour votre famille de venir vous voir, vous ne gérez rien à la maison, le week-end vous êtes un poids, vous ne pouvez pas encore conduire, vous ne pouvez pas encore reprendre le travail, vous allez avoir un temps relativement long de réadaptation quand vous allez rentrer chez vous. »
Dur de se regarder dans un miroir et d’enfin voir son vrai reflet.
J’ai refusé les anti-dépresseurs car je souhaitais rester maître de mon cerveau et de ma capacité à guérir de ces blessures intérieures. Avec le recul, je pense que j’ai plutôt bien réussi. Ce n’est pas arrivé en claquant des doigts et j’ai du être accompagné par une psychothérapeute à ma sortie de l’hôpital, mais je suis fier de moi. Mon reflet me fait moins peur, ça doit être à cause de ma vue qui baisse. 😉
Un retour envisageable
C’est le 13 septembre 2017 que le premier retour est évoqué. Si je le souhaite…
Extrait de mon journal intime. Date 13.09.2017
Ce matin, la chirurgienne de Marseille, le Docteur Hautier, est venue depuis l’hôpital de la Conception pour faire le point sur l’état de mes pieds. La greffe sur le pied gauche est bien prise et il restera à faire quelques injections de graisse par-ci par-là pour qu’il retrouve un coussin naturel de protection pour l’amorti. En ce qui concerne le pied droit, c’est un peu plus compliqué, il faut attendre que les 2 derniers trous soient complètement rebouchés pour pouvoir faire quoi que ce soit. J’ai bien senti qu’il avait beaucoup plus souffert que l’autre et que ça allait être compliqué pour retrouver le pied d’avant.
Je suis autorisé à sortir si je le souhaite. Mais dans le discours de la chirurgienne, je sens bien qu’elle m’invite quand même à rester. Ce n’est pas ma volonté de sortir, il y a encore un risque d’infection lié au contact osseux existant sur les deux trous. Je reste persuadé que mes pansements doivent être réalisés en milieu stérile et l’hôpital reste l’endroit le plus stérile que je connaisse. De plus, les infirmières de l’hôpital ont toute ma confiance, je connais la qualité de leur travail. Je suis maître de ma liberté, c’est mon choix et, de ce fait, l’attente devient moins longue.
Je repousse les retrouvailles familiales, mais c’est reculer pour mieux sauter. Ma femme valide mon choix. Peut-être a-t-elle trouvé sa routine sans moi dans les pattes ? (Oh ! revoilà mon petit démon qui me parle 😆 )
On approche donc de la sortie. C’est fou ce que ça passe vite quand on y pense. Alors que ce n’est pas du tout la même sensation quand on y est. Lorsque je refuse la 1ère sortie, il me reste 1 mois à tirer. Ce que je ne sais pas encore, c’est que les trous ne vont pas se fermer pendant ce laps de temps que je me suis accordé. Et comme, 2 ans après, le trou du calcanéum résiste toujours et encore, je me dis que j’ai bien fait de sortir.
La suite dans mon prochain article : Température du jour.